Le roi du monde

E. – Dis, madame, pourquoi tu as des plumes ?

D. – Pour pouvoir voler.

E. – Tu es un oiseau ? Tu ne ressembles pas à un oiseau.

D. – Je suis la femme-oiseau.

E. – Et qu’est-ce que tu fais ?

D. – Je fais naitre les rois.

E. – Je croyais que les rois, ils devenaient rois parce qu’ils étaient le fils du roi.

D. – C’est vrai. Mais il faut bien un premier roi.

E. – C’était qui, le premier roi ?

D. – Nabuchodonosor.

E. – C’était qui ?

D. – Le roi de Babylone.

E. – C’est où, Babylone ?

D. – Au Moyen-Orient. A côté de l’Arabie.

E. – Il est mort ?

D. – Bien sûr, c’était il y a très longtemps.

E. – Et son fils, à Nabudonosor, il est devenu roi ?

D. – Nabuchodonosor. Oui, son fils, est devenu roi. Et son petit-fils aussi.

E. – Ils sont morts ?

D. – C’était il y a très longtemps, je te dis.

E. – Pourquoi tu es revenue ? Pour choisir un nouveau roi ?

D. – Peut-être.

E. – C’est moi, le nouveau roi ?

D. – Peut-être.

Un temps.

E. – Ca doit être difficile, d’être un bon roi.

D. – Qu’est-ce que tu ferais, si tu étais roi ?

E. – Je m’achèterai tous les jouets que je veux !

D. – Dis-donc… N’est-ce pas un peu égoïste ?

E. – Non, parce que je donnerai plein d’argent aux pauvres, pour qu’eux aussi, ils puissent s’acheter tous les jouets qu’ils veulent. Et des gâteaux, des glaces et des desserts. Et moi aussi j’achèterai plein de gâteaux, de glaces et de desserts. Pour que tout le monde ait plein à manger et plein de jouets.

D. – C’est très généreux.

E. – Oui. Parce que je voudrais être un bon roi.

D. – Mais… si tout le monde achète plein de jouets, et mange plein de gâteaux… Il va falloir fabriquer beaucoup de jouets. Et cuisiner beaucoup de gâteaux. Ca va faire beaucoup de plastique. Et beaucoup de farine, d’œufs, et de sucre.

E. – Forcément. C’est normal.

D. – Dis-moi… Tu ne crois pas qu’au bout d’un temps, les gens en auront assez de s’amuser avec les mêmes jouets ? Et de manger des gâteaux tous les jours ?

E. – Eh bien, je dirai à mes ingénieurs de fabriquer des jouets encore plus rigolos, et aux cuisiniers d’inventer des nouveaux gâteaux.

D. – Avec encore plus de plastique ? Et encore plus de farine, d’œufs, et de sucre ?

E. – Evidemment ! Mais surtout du sucre, et pas trop de farine.

D. – Et après ?

E. – Après, les gens diront que je suis le meilleur roi du monde. Meilleur que le roi de Babylone. Meilleur que tous les rois qui ont existé. Parce que tous les gens auront tous les jouets et tous les gâteaux qu’ils veulent. Et dans mille ans, on dira encore que j’ai été le meilleur roi de tout l’univers.

D. – Comment ce sera, la terre, dans mille ans ?

E. – Ce sera encore mieux qu’aujourd’hui.

D. – Avec encore plus de jouets ? Encore plus de gâteaux ?

E. – Bien sûr.

D. – Et… dis-moi… tous les jouets qui auront été fabriqués pendant ces mille ans… Que seront-ils devenus ?

E. – Ben, ils seront à la poubelle ! On va pas garder des vieux jouets pendant mille ans. On est pas des idiots.

D. – Il faudra une grande poubelle, alors. Une très grande poubelle.

E. – Une poubelle pour mille ans ! Voilà ce que je vais construire. Quand je serai roi. Une poubelle géante. Comme ça, tous les gens qui auront plein de jouets, et plein de gâteaux, quand ils devront jeter quelque chose à la poubelle, ils le mettront dans la poubelle géante, prévue pour mille ans.

D. – Et dans mille ans, que se passera-t-il ?

 E. – Dans mille ans, on dira que j’ai été le roi qui a inventé la plus grande poubelle de l’univers !