J’aurais pu commencer cet article en remerciant, pompeusement, et humblement cela va sans dire, la rédaction de ce magazine, bien entendu éclectique, de m’offrir une tribune auprès de ses lectrices et lecteurs, illustrissimes ou à tout le moins brillants. Car après tout, qui suis-je pour donner des conseils d’écriture, alors que je n’ai moi-même qu’une modeste expérience.
Seulement voilà : il est venu un temps dans ma vie d’écrivain où j’ai décidé d’arrêter de m’excuser.
Je suis toujours frappé, dans les ateliers ou autres rencontres, à quel point les autrices et auteurs se confondent en explications et justifications pour masquer – soit par honte de ne « pas faire assez bien », soit par fausse modestie – une chose toute simple : leur désir d’écrire.
Vous avez envie d’écrire ? Alors assumez cette envie. Sinon, passez à autre chose, la vie est courte.
Ecrire comme Victor Hugo, c’est très facile.
Souvent l’apprenti écrivain se trouve face à l’angoisse de la page blanche. Pourquoi ? La plupart du temps, par peur de ne pas faire assez bien. De ne pas être suffisamment « bon ». D’écrire des choses peu intéressantes, pas réellement littéraires, pas au niveau de Victor Hugo.
Alors, permettez-moi de vous rassurer : écrire comme Victor Hugo, c’est très facile. Il suffit pour cela de vous rendre dans la libraire la plus proche (de grâce, ne commandez pas dans l’amère zone), d’acheter au hasard un ouvrage de Victor Hugo, si possible un que vous ne connaissez pas, de rentrer chez vous, bien tailler votre crayon, ouvrir le livre, et recopier les pages une à une. Et ainsi, vous écrirez, au plus près, comme Victor Hugo.
Pourquoi dire cela ? Parce que vouloir écrire comme Victor Hugo, George Sand ou William Shakespeare, c’est une fausse piste. La seule façon dont vous pouvez écrire, c’est la vôtre. Attention : vous pouvez bien entendu vous inspirer des grands maîtres ; mais rendez à César ce qui appartient à César ! Vous ne serez jamais Empereur de Rome, ou alors dans un film, et dans ce cas, c’est que vous souhaitez devenir actrice ou acteur : comme je disais plus haut, passez à autre chose, la vie est courte. Ou alors, assumez votre envie d’écrire, vous, à votre façon. Voulez-vous devenir autrice, auteur, ou pas ? Si oui, certains vous critiqueront pour cela. Autant vous y préparer.
Pour écrire, il faut apprendre à jouer du piano
Maintenant que vous savez que vous n’écrirez jamais comme Victor Hugo, la question reste entière : comment apprendre à écrire ? Eh bien, permettez-moi de me répéter. C’est très facile. Pour apprendre à écrire, il suffit de savoir jouer du piano.
Diantre ! Voilà qui peut paraître surprenant. Et surtout, quel handicap pour celles et ceux qui n’ont pas appris à jouer du piano.
Mais au fait, comment fait-on pour apprendre à jouer du piano ? Est-ce qu’on s’assoit devant l’instrument, en tant que débutant motivé, avec moult papier à musique vierge, essayant dès le premier instant de composer comme Mozart, et de jouer comme Rubinstein ? C’est une possibilité.
Cependant, la plupart des virtuoses vous expliqueront qu’ils ont commencé par des choses simples, une main à la fois, puis les deux ensemble, lentement, avec l’aide du métronome pour suivre le rythme. Et puis, petit à petit, en travaillant tous les jours, ils ont abordé des morceaux un peu plus élaborés, un peu plus difficiles. Encore et encore. Chaque jour. Avec le sentiment très fréquent de ne pas progresser. Sans parler de toutes les œuvres qu’on entend interprétées avec une telle facilité par d’autres, et qui se révèlent totalement injouables. Malgré tout, ils ont persévéré. Dix ans. Vingt ans parfois. Et puis les paliers se sont franchis. Comme ça. Un beau jour. Tiens, j’y arrive ! Tiens, je commence à jouer bien. Dire qu’il m’a fallu quinze ans pour ça…
Voilà ce qui vous attend, jeune autrice, jeune auteur. Dix ans d’efforts quotidiens. Dix ans au cours desquels vous aurez commencé par écrire de petites choses, courtes, modestes, sans grand intérêt, et dont la musicalité se sera limitée à l’aride régularité du métronome. Toutefois, au bout d’un an, vous aurez peut-être écrit votre première nouvelle. Petite. Mais qui sonnera bien. Et puis encore un an d’essais très imparfaits, de gammes, d’arpèges littéraires. Avec leur lot de fautes et de lourdeurs. D’erreur de rythme. Un an de poubelles pleines de papier ! Car, l’avantage, en musique, c’est que les fausses notes s’envolent. Tandis que les écrits restent.
Rassurez-vous, le papier se recycle très bien. Et surtout, si vous regardez attentivement vos textes, vous verrez qu’ils ont commencé à prendre quelques couleurs, ou plutôt, ne soyons pas trop impatients, quelques reflets… Courage. Il ne vous restera plus que huit ans d’efforts. Le plus important, sans que vous en ayez eu conscience sur le coup, c’est que vous aurez appris deux choses, au cours de ces deux premières années : la persévérance. Et le fait que les progrès se font par palier. A une seule condition : faire ses gammes tous les jours.
Comment trouver mon style ?
Honnêtement : je ne sais pas. Je vous avais prévenu, en titre : ce ne sont que de modestes conseils. Votre style, c’est vous. Comment voulez-vous que je sache comment vous allez le trouver ?
Evidemment, je pourrais vous dire comment j’ai trouvé mon style (si tant est que je l’aie trouvé). Mais ce serait vous inciter à aller dans une impasse : copier le style de quelqu’un d’autre. Car, en effet, si je ne sais pas trop quoi conseiller pour développer son style, en revanche, je peux vous indiquer quelques écueils à éviter :
1. Coller au style d’un d’autre. En particulier d’un grand écrivain. Vous pouvez, en vous entrainant beaucoup, parvenir à écrire du pseudo ceci, ou du simili cela. Si cela peut vous contenter, tant mieux. A mon humble avis, le résultat n’aura, d’une part, pas grand intérêt, et surtout, risque de vous empêcher de développer votre style.
2. Etudier la théorie et l’histoire de la littérature. Je précise que je n’ai rien contre les savants, et je ne dis pas que la connaissance est inutile, bien au contraire. J’affirme simplement que, à mon avis, en matière de style, plus on connait la théorie, plus on essaie de l’appliquer lorsqu’on écrit. Par conséquent, dès la première phrase, l’auteur se place dans un questionnement, suis-je dans tel ou tel genre, suis-je en train de me placer du point de vue du narrateur classique, etc. Tout ça dès la première phrase !
3. Croire qu’on va « trouver » son style. Non. On peut trouver un stylo, pas un style. Ce n’est pas un objet. Et toutes les études de la « sémiotique post-saussurienne » à coup de « discours non-littéral » et autres « mécanismes d’inférence » n’ont heureusement pas répondu à la question : le style reste (relativement) indéfinissable, en perpétuelle métamorphose, car à mon avis le style est une démarche, un mouvement. C’est pour ça que vous ne pourrez pas le trouver : il bouge tout le temps. Donc, ne cherchez pas à l’attraper, à l’enfermer. Au contraire, laissez-le libre. Ainsi il pourra se développer.
Et les autres ?
Il y a plusieurs catégories d’autres, parfois réunis dans la même personne physique. Comment s’y retrouver ?
L’autre, lecteur : chéri lorsqu’il vous complimente, honni lorsqu’il vous juge. Tout dépend si vous écrivez pour plaire à l’autre. De toutes façons, vous ne plairez pas à tout le monde. Et vous plairez à des gens qui ne vous plaisent pas. Certains vous diront que ça leur plait, parce qu’ils n’oseront pas dire ce qu’ils pensent. Ceux qui vous jugeront n’auront peut-être rien compris. Mais peut-être que ceux à qui vous plairez n’auront, eux non plus, rien compris. Car c’est ça, le problème, avec les autres : c’est qu’ils sont « autre ».
L’autre, auteur : chéri lorsque vous l’admirez, honni lorsque vous le détestez. Certains vous emmènent, vous transportent, vous inspirent. Tant mieux. Profitez-en. D’autres vous insupportent. Oui, mais pourquoi ? Il y a sans doute beaucoup à apprendre chez les auteurs qu’on n’aime pas. Pourquoi ne les aimez-vous pas ? Pourquoi d’autres lecteurs les aiment ? (NB : Je ne parle pas de lire des auteurs médiocres, ce qui n’apporte pas grand-chose ; en revanche se confronter à des écritures reconnues qui vous dérangent).
L’autre, écrivain : collègue chéri lorsqu’il souffre comme vous dans un atelier d’écriture, honni lorsqu’il y arrive mieux que vous. Qui est-il, celui qui, comme vous, essaie d’écrire, écrit peut-être déjà ? Pourquoi a-t-il tant de facilité ? Pourquoi a-t-il un style si original ? Pourquoi a-t-il été sélectionné et pas vous ? Pourquoi le monde est-il injuste ? Eh bien, demandez-lui. Comment fait-il ? Il a peut-être des conseils à vous donner. Ecoutez-le consciencieusement. Et puis, discrètement, jetez un œil sur sa poubelle : est-elle pleine ?
Epilogue
En guise de conclusion, vous l’aurez sans doute remarqué, je me suis permis un sous-titre qui fait référence à la narration. Pourquoi ? Parce que j’aime écrire des histoires. Cela fait, très certainement, partie de mon style. Une histoire. Avec des personnages. Un début, un milieu, une fin. Tout simplement. Dans mon histoire, il y a eu vous, il y a eu moi, il y a eu les autres. Nous avons même la chance d’avoir reçu la participation de Victor Hugo ! Maintenant, c’est à vous. A vous d’écrire. D’écrire votre histoire. Ou autre chose. Il était une fois une feuille. Une feuille si belle et si claire qu’on l’appelait Blanche-Page. Un beau jour, elle rencontra un stylo à l’encre noire comme de l’ébène. Ils se marièrent et… ils se mirent au travail !
Grégoire Maréchal
Publié dans la revue « Question de plume » en novembre 2018 – www.la-plume-en-question.fr