– C’est insupportable. Encore une demi–heure de retard ! J’en ai vraiment marre de toi.
Tu as eu mon message ? Bien sûr que non.
Figure-toi que moi je suis arrivé dix minutes en retard, pour une fois.
Dix minutes.
Du coup je t’ai envoyé un message. Au cas où.
Je me disais, dix minutes, sait-on jamais, peut-être qu’il sera là, pour une fois.
Je ne voulais pas que tu t’inquiètes.
Je suis sûr que tu l’as même pas lu, mon message.
Franchement, tu vois, je me demande. Je me demande comment tu fais.
Pour être toujours en retard, comme ça. Il faut quand même le faire exprès.
Tu le sais, en plus ! Tu le sais que tu es toujours en retard. Alors !
C’est quoi ? C’est un problème psychologique ?
Non mais c’est vrai, à ce stade, c’est maladif. C’est psychosomatique. C’est Freudien. C’est qui le problème ? Ton père ? Ta mère ? C’est qui, que tu veux symboliquement faire attendre ? Et moi là-dedans ? Hein ? Je compte pour quoi ? C’est pour me faire chier ? Pour m’emmerder ?
Tu le sais, que je ne supporte pas ça. Tu veux m’énerver ? Tu veux me foutre en boule, c’est ça ? Eh bien bravo. C’est réussi. Beau travail !
Tu pourrais… Je sais pas moi…
C’est quand même pas si difficile.
En plus, tu as une montre, ton téléphone, il y a des pendules partout…
Tu as un cerveau, quand même ! Tu es débile, ou quoi ? C’est si difficile de lire une pendule ? L’heure ? Hein ? Tu sais la lire, l’heure !
Et prévoir le temps de trajet ! Tu vas pas me dire que tu ne sais pas le temps qu’il faut.
Il faut exactement dix – sept minutes de chez toi à ici, en métro.
Bon, disons, dix-huit minutes, maximum. Tu prends deux minutes de rab, par précaution, et voilà.
Vingt minutes. Tu pars vingt minutes avant. Et comme ça t’arrive à l’heure !
Tiens, tu vois, en calculant, je viens de me rendre compte ! Une demi-heure de retard, ça veut dire qu’à l’heure du rendez-vous, tu n’étais pas encore parti de chez moi ! De chez toi, je veux dire !
Et moi qui avait dix minutes de retard.
En fait, ça veut dire que, exactement, au moment où je suis arrivé ici, avec mes dix minutes de retard, toi, tu sortais de chez toi. Non mais tu te rends compte ? Alors ? C’est quoi le problème ?
Mais dis quelque chose, bordel !
Tu es devenu muet, en plus d’être débile ? Alors ?
Parle, nom d’un chien.
– Je croyais…
– Quoi, je croyais ? Tu croyais quoi ? Que le rendez-vous était chez toi ? On ne va jamais chez toi. Tu le sais. Alors ?
– Je croyais que tu avais compris…
– Que j’avais compris ? Que j’avais compris quoi ? Que tu serais en retard ? Ca, oui, depuis le temps que je te connais, j’ai bien compris que tu es toujours en retard. Mais tout de même, trente minutes, il faut pas exagérer !
– Le problème, ce n’est pas les trente minutes.
– Ah ! Ca, effectivement, je comprends bien que pour toi, trente minutes, c’est vraiment pas un problème. Franchement, je ne sais pas comment je fais pour…
– Ce que je voulais dire…
– Oui ! Eh bien ! Vas-y ! Dis-le ! Explique-toi ! Parce que là je commence à bouillir…
– Je croyais que tu avais compris…
– Compris quoi ?
– Laisse-moi parler, s’il te plait.
– Je ne fais que ça, de te laisser parler. Vas-y ! Je t’écoute ! Je suis toute ouïe.
– Je croyais…
– Tu l’as déjà dit.
– Je croyais que tu avais compris…
– Compris quoi, bordel ?
– Je croyais… que tu avais compris… que je n’avais plus envie de te voir.
– Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ?
– C’est ce que je te dis. Je croyais que tu avais compris.
– Que j’avais compris ? Que j’avais compris que tu n’avais plus envie de me voir ?
– Oui. Je croyais. Je croyais que ça avait été clair, la dernière fois.
– Ah ouais ? Bon… Peut-être. Si tu n’as plus envie de me voir, je peux comprendre.
– Eh bien, tu vois… Quand tu veux….
– OK. D’accord. N’empêche que c’est pas une raison pour arriver en retard !
Grégoire Maréchal